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Assez ! - Mot du président - 19/05/2016

Nous l’avons dit et redit : la situation de nos prisons est intolérable !

Des détenus entassés, parfois à trois, dans des cellules de 9 m². Pas de sortie extérieure (au mieux, un préau d’une demi-heure tous les cinq jours). Pas de douche (au mieux, une tous les trois jours). Pas de communication téléphonique (au mieux, une tous les deux jours, pour autant que leur compte ait été suffisamment alimenté avant le début de la grève). Trois repas servis en un. Pas de visite de la famille (et donc pas de linge…). Quasi pas de visite d’avocats. Quasi pas de transfert au Palais, donc pas d’audience, pas de plaidoirie, pas de jugement, pas de libération … Et en plus, il y a eu quelques jours bien chauds pendant cette période.

Tous cela dans des prisons qui sont souvent vétustes. Celle de Forest (mais la situation n’est pas bien différente à Lantin ou à Mons) que j’ai pu visiter mardi dernier est, à cet égard, emblématique. Une aile a dû être fermée pour insalubrité. Dans une autre, il n’y a pas de latrine dans les cellules, seulement un seau hygiénique, vidé une fois par jour. Certaines serrures ferment (ou plutôt, ouvrent) mal. On n’ose imaginer ce qui se passerait si un incendie…

Les deux cachots que nous avons pu visiter, au sous-sol de l’annexe psychiatrique nous ont révulsés : 6-7 m², béton nu, délabré, une lucarne garnie de barreaux et d’un verre opaque, d’ailleurs partiellement brisé, un sommier de bois nu, muni de quatre dispositifs de contention, pour que l’on puisse y attacher un aliéné récalcitrant par les quatre membres… De quoi raviver les pires souvenirs.

Dans la prison, les hommes présents font preuve d’un dévouement exceptionnel : directeur, agents pénitentiaires, policiers, militaires. Ils ont réussi, jusqu’ici, par leur gentillesse et leur efficacité, à éviter un embrasement qui paraît pourtant inéluctable.
Malgré cela, les cris des détenus, des soignants, des familles, se font de plus en plus vifs. Certains approuvent les revendications des grévistes mais plus aucun ne peut admettre d’être ainsi pris en otage.

Et nous non plus. Les revendications, certaines d’entre elles en tout cas (très certainement celles qui tiennent à l’insuffisance du cadre), ne peuvent qu’être approuvées. Les moyens ne le sont plus (et, au vu des incidents qui se sont produits ce mardi au cabinet du Ministre de la Justice, plus du tout), pour autant qu’ils l’aient jamais été. Un service minimum garanti devient une évidence.

Mais comment admettre la position du Gouvernement ?

Nous dénonçons depuis des années la surpopulation carcérale. Il y a, tout simplement, trop de prisonniers en Belgique. Et, parmi eux, ne l’oublions pas, un nombre tout à fait excessif de présumés innocents en détention préventive, pour lesquels la situation actuelle est particulièrement intolérable. Certes, leur nombre a un peu baissé depuis le début de cette législature. Mais il ne faut pas se leurrer, cette diminution est essentiellement le produit d’une politique de reconduction plus rapide aux frontières des étrangers en séjour illégal. Ce n’est pas cela dont nous avons besoin. Pas plus que de la construction de nouvelles prisons, qui auront, certes, l’avantage d’être moins insalubres, mais qui ne règleront pas le problème de fond.

Ce dont nous avons besoin, c’est d’un changement de politique : moins de peines privatives de libertés, plus de sanctions alternatives. Avec un personnel social qui accompagne la réintégration dans la société. Et, dans les prisons, un cadre suffisant, précisément pour accompagner les détenus, faciliter leur réinsertion. Une vraie politique éducative (et aussi déradicalisante…).

Nous avions cru en voir les prémices, en filigrane, dans le Plan Justice de Monsieur le Ministre de la Justice. Ce n’est pas ce qui est dans la loi Pot-pourri 2. Tout au contraire, elle porte des majorations de peines et des diminutions des possibilités de libération pendant la détention préventive. Ce n’est pas non plus ce qui est dans le projet de loi Pot-pourri 4. Il ne contient que certaines avancées, d’ailleurs très limitées, du statut des détenus.

Il vient d’y avoir un mort à Lantin. À l’heure où j’écris ces lignes, nous ne connaissons pas encore les circonstances exactes de ce décès. Mais il ne fait pas de doute qu’il est en lien avec les faits que je dénonce dans cet éditorial. À défaut d’une réaction rapide, il y en aura d’autres.

Mesdames et Messieurs du Gouvernement (car c’est bien d’une question de gouvernement dont il est question), il est l’heure de prendre la mesure d’une situation intolérable.

Vouloir réduire le budget de la Justice de 10% en une législature (-1% en 2016, -2% en 2017, -3% en 2018, -4% en 2019) est tout simplement impossible. Parce que, dans certains secteurs, dont celui des prisons, sauf si l’on mène une politique de réduction drastique de l’emprisonnement, on était déjà à l’os. Rappelez-vous, la Justice hurle au sous-financement depuis des lustres.

Nous ne sommes pas opposés à des réformes. Notre justice est loin d’être une des moins bonnes mais elle doit progresser. Trop chère, trop lente. Il faut faire mieux. Mais il ne suffit pas de siffler pour amener des économies et des améliorations. Il faut mettre en place des réformes ad hoc, qui ne sacrifient pas pour autant le troisième pilier de notre État, puis leur donner le temps de produire leurs effets, et non couper les lignes de crédit sauvagement en espérant que des modifications, souvent d’ailleurs insuffisamment étudiées, permettront, à terme, de les compenser. En agissant de la sorte, on ne peut que provoquer la démotivation, la révolte.

Elle est là.

Messieurs qu’on nomme grands, cette fois l’heure est là. Il faut prendre la mesure du défi et agir. En s’en donnant les moyens.

Luttons.