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Les VIIIe rencontres de Madrid

La rentrée de Madrid c’est, bien sûr, une cérémonie solennelle. Des points communs avec les nôtres. Et puis des particularités. Ici pas de discours de rentrée. Une brève intervention du bâtonnier pour clore une suite de panégyriques (ils appellent cela « Laudatio »). Mais qu’importe, le sens général de la manifestation reste le même. Affirmer le barreau dans la cité, célébrer ses valeurs, renforcer sa cohésion.

Depuis huit ans, la rentrée de Madrid c’est aussi l’occasion pour les bâtonniers du monde de se rassembler autour de thèmes qui nous sont communs. Et cette édition n’a pas déçu.

Une première table ronde, dès le jeudi soir, sur un des thèmes d’aujourd’hui, « Menaces terroristes : Liberté vs Sécurité ». État d’urgence en France, pots-pourris chez nous (c’est Yves Oschinsky, premier vice-président le Fédération des Barreaux Européens, qui a fait le rapport avec sa verve habituelle – c’est un vrai spécialiste du droit des gens), menaces constitutionnelles en Pologne, renforcement de la sécurité en Inde : les orateurs se succèdent et c’est chaque fois la même litanie. Partout la même dénonciation : la lutte contre le terrorisme est le prétexte à des restrictions considérables des libertés, sans que l’on voit bien le rapport de proportionnalité entre le première et les secondes.

La seconde table ronde, « Défense de la défense », doit-elle en être vue comme un corollaire ? Dans de nombreux pays, l’étau se resserre sur notre profession : la Chine, au premier rang, l’Arabie Saoudite, l’Iran, la Mauritanie, la Turquie, le Burundi, le Honduras, le Venezuela, mais dans combien d‘autres États encore ? Nos confrères sont persécutés individuellement, en groupe ou par barreaux. Parce qu’ils défendent la liberté de religion, la liberté d’avoir des enfants, la liberté sexuelle, le droit de propriété. Parce qu’ils dénoncent les abus du pouvoir, la corruption, la répression des faibles, des opposants, de leurs confrères… Ils sont harcelés, poursuivis pour de soi-disant infractions de droit commun, arrêtés, menacés, assassinés. Richard Sédillot, au nom du renaissant Observatoire international des avocats, fait l’inventaire. Le bâtonnier de Barcelone, Josep Oriol Rusca, dénonce et nous invite à la rébellion. Carlos Andreucci, ancien président de la fédération argentine des barreaux, témoigne de la résistance des barreaux sous la junte de Vidella. Tant qu’il y aura des avocats…

La troisième table ronde sort un peu de la ligne : « L’avocat au XXIe siècle ». Les modèles émergents d’organisation des cabinets en ligne de mire. C’était après la cérémonie d’ouverture dont je vous parle ci-après. J’ai brossé…

Le samedi matin, le point d’orgue. Quatrième table ronde consacrée à « la profession d’avocat européenne face à la « crise » des réfugiés ». Michel Bénichou, président du Conseil des barreaux européens (C.C.B.E.), fait à nouveau le point. Le monde s’est toujours nourri de l’immigration et de l’émigration. Les barrières n’ont jamais arrêté personne, durablement en tout cas. Les murailles cela sert à isoler ceux qui sont en-dedans, à disqualifier ceux qui sont en-dehors, à nourrir la peur de l’autre, à scléroser, à effrayer, à terrifier. Comment supporter aujourd’hui que ces milliers de gens viennent se noyer sous nos yeux, derrière les murs que nous édifions pour ne pas les voir ? Ce n’est pas cela l’Europe que nous voulons.

Nous devons agir, être présent dans les hot spots, là où ces hommes, femmes et enfants, qui fuient la misère et la guerre ont besoin de nous. Il lance une nouvelle fois son appel. Le C.C.B.E. a besoin de 160.000 euros pour créer une permanence d’accueil, d’information et de défense à Lesbos. 16 fois 10.000 euros. AVOCATS.BE en est. Mais il n’y en a pas encore assez.

Vite. Nous devons être à Lesbos.

Sara Chandler, pour la F.B.E., José Ramon Anton Boix et Marcelo Belgrano, pour le barreau de Madrid, nous exposent les initiatives qui sont prises, dans certains barreaux européens. Ce n’est qu’un début. Continuons…

Entretemps, nous avons assisté à la séance de rentrée, dans la superbe salle de conférence de l’Athénée de Madrid. Prestations de serments, célébrations des jubilaires, remises de médailles. Quelques beaux moments d’émotion égayent cette longue (plus de trois heures et demie) cérémonie. Sont mis à l’honneur, notamment, un ancien président de l’Association des avocats européens démocrates (Me Bénitez de Lugo), un ancien président de l’U.I.A. (Me Delgado de Molina), un ancien président de Consejo general de la Abogacia Espagňola (Me Carnicer Diez) ou le bâtonnier Pérez Cuellar (Mexique). Aussi Me Cerrillos Valledor, ancienne présidente de l’Association des femmes juristes, et l’organisation Women’s link Worldwide : il est vrai que le bâtonnier de Madrid est une femme, Me Sonia Gumpert Melgosa.

Le moment le plus émouvant est certainement la remise de médaille au dernier survivant de l’attentat d’Atocha. Le 24 janvier 1977, dans l’immédiat après-franquisme, un commando d’hommes armés entre dans les locaux du Parti Communiste espagnol (toujours interdit à l’époque) et y mitraille plusieurs avocats spécialisés dans les conflits sociaux qui étaient en réunion avec de jeunes juristes et des membres du parti. Cinq morts et de nombreux blessés. Charlie-Hebdo avant la lettre. La salle se lève pour applaudir longuement les noms des victimes que le récipiendaire égrène avec une voix mouillée…

Devoir de mémoire. Engagement. Respect.

Luttons,