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Un prix Nobel, et puis... ?

Le 9 octobre 2015, le Quartet tunisien, composé de la Ligue tunisienne des droits de l'homme, de l’Union générale tunisienne du travail, de l’Union tunisienne de l’industrie et de l'Ordre national des avocats de Tunisie recevait le plus prestigieux des Oscars : le prix Nobel de la Paix.

Le jury norvégien récompensait ainsi une longue marche vers la démocratie, la marche d'un peuple, d'hommes et de femmes, courageux, obstinés, capables de sauter les obstacles un à un, avec patience et détermination.

Après l'hommage que le bâtonnier de Bruxelles Stéphane Boonen leur avait rendu in absentia, lors de la rentrée du 15 janvier 2016, c'était à nous de nous rendre à Tunis, ces 12 et 13 février 2016, pour célébrer l'ouverture de leur année judiciaire.

La séance prend place dans l'ancien Palais de Justice, celui qui abrite le Tribunal d'instance, là où l'on entend les détenus qui crient, où l'on voit les mères qui pleurent, où les dossiers s'entassent dans des greffes insalubres, où... Mais vous connaissez tout cela. C'est comme chez nous, ou presque... Simplement, personne ne parle flamand...

Le bâtonnier Mafhoudh ouvre la séance. Il rappelle le chemin parcouru, la nouvelle constitution, le rôle des avocats,... Mais insiste surtout sur les défis d'aujourd'hui : si les libertés sont (re)venues, le peuple ne voit que très peu le bénéfice de la révolution. Faim et pauvreté sont toujours là. La Tunisie a besoin de l'Europe.

Le ministre de la Justice Omar Mansour insiste sur cet article 105 de la Constitution que le monde des avocats envie à la Tunisie :

"La profession d’avocat est libre et indépendante. Elle participe à l’instauration de la justice et à la défense des droits et des libertés.

L’avocat bénéficie des garanties légales le protégeant et lui permettant d’assurer ses fonctions."

Le bâtonnier Abdellatif Bouachrine, secrétaire général de l'Union des avocats arabes s'envole dans un vibrant plaidoyer pour la formation, initiale, continue, spécialisée. Sans les écouteurs, je l'imaginerais dans une diatribe fustigeant la torture ou la peine de mort.

Jean-Marie Burguburu, au nom de l'U.I.A., est le premier étranger à féliciter le barreau tunisien pour sa volonté, sa ténacité, sa combativité, son succès.

Dominique Attias, vice-bâtonnière de Paris, insiste sur l'importance des femmes dans la société et le barreau tunisiens.

Au nom du président du C.C.B.E., j'ai le plaisir de dire au barreau tunisien que son honneur rejaillit sur nous. Il porte haut nos valeurs : indépendance, liberté, égalité, fraternité, solidarité, dignité. Grâce à lui, nous sommes fiers d'être avocats.

Des bâtonniers français, suisse, norvégien, libyen se succèdent. L'article 105 de la Constitution et le prix Nobel sont sur toutes les lèvres. Au nom du bâtonnier de Bruxelles, et en lisant le speech que celui-ci avait prononcé à la rentrée de Bruxelles, Maître Gabie-Ange Mundana remet au bâtonnier Mafouhd la médaille spéciale que Stéphane Boonen a fait frapper en son honneur, au nom de tous les avocats du monde.

Trois prix d'éloquence sont décernés à de jeunes avocats. Beau symbole : alors que tous les orateurs ont, jusque-là, été masculins, les trois lauréats sont des lauréates. En Tunisie aussi (surtout), la femme est l'avenir de l'homme.

Après la séance, le barreau nous emmène à Sousse, pour un copieux banquet puis, le lendemain, pour un colloque sur "La sécurité juridique, facteur de développement".

Les premiers intervenants insistent d'abord sur la notion. La sécurité juridique est faite de simplicité, de prévisibilité, d'unicité, de continuité. Valeur conservatrice mais valeur stabilisante, elle construit un environnement propice à l'initiative. C'est en cela qu'elle est un facteur de développement.

Quand la loi est bavarde, nous dit Maître Anas Boukamcha, le peuple l'écoute d'une oreille distraite. Un droit mou est un droit flou, qui décourage l'investissement.

Maître Sami Frikha insiste sur les outils : transparence administrative, motivation des actes administratifs, délais de rigueur. Il pend le nouveau Code tunisien de l'investissement en exemple. Question : l'autorisation tacite par simple échéance du délai imparti pour statuer, est-ce de la sécurité juridique ? Tout dépend du point de vue : investisseur ou intérêt protégé ?

Le bâtonnier de Rabat, Chawki Ajana, met en évidence le rôle du barreau, gardien de la légalité, donc de la sécurité.

Maître Xavier Chiloux insiste sur la sécurité que peuvent apporter l'acte d'avocat et l'acte numérique natif. Au passage, il dénonce la frénésie législative. En France, on dénombre 10.000 infractions pénalement sanctionnées. Mais 99% des poursuites n'en concernent que moins de 100.

Le bâtonnier Joachim Bile-Aka (Côte d’Ivoire) décrit l'aventure OHADA : un seul droit des affaires, une seule autorité législative, une seule Cour, une seule jurisprudence, avec pouvoir d'évocation du fond et décisions immédiatement exécutoires, pour 18 pays africains. Un exemple pour les pays arabes ?

Je vous parle de droit, de discours, de mots. Il faudrait dire aussi la chaleur de l'accueil, le bonheur de partager, le sentiment de fraternité, la volonté d'échanger. Ce n’est pas ce Tunis-là qui nous apportera de la peine. Mais il faut dire aussi la conscience d'une fragilité.

Nous avons bombardé Kadhafi, mis en fuite (laissé massacrer) un tyran, puis abandonné un peuple à ses guerres tribales. Est-ce de cela que le monde arabe a besoin ?

Il faut un plan Marshall pour la Tunisie.

Ne laissons pas faner le jasmin.

Yahya elhayyat elwataniat lilmuhemin bitunise, Yahya lih muhamiyn èlttunisin, yahya el chaeb alttunisi.

Linou kahib !