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Spectacle et Justice : regards croisés sur la justice pénale belge

Spectacle et Justice : regards croisés sur la justice pénale belge, par K. Vanhaesebrouck, Chr. Guillain et Y. Cartuyvels (éd.) Bruxelles, Racine / Lannoo Campus, 2015, 216 pages, 29,99€.

« La justice est sans aucun doute un des domaines les plus importants et les plus complexes de toute notre organisation sociale. Et pourtant, tous les acteurs s’accordent pour dire que la justice ne tourne pas rond : le système est désespérément obsolète, manque de ressources et de personnel, n’ose pas s’attaquer aux priorités, ce qui entraîne une énorme perte de temps, tout comme il s’abstient généralement de traiter des problèmes à la racine (le plus souvent d’origine sociale). Beaucoup d’intervenants judiciaires ont dès lors le sentiment qu’ils n’ont fait qu’entretenir l’illusion de rendre la justice, alors que le disfonctionnement du système leur crève les yeux en permanence ».

Ce constat, nous l’avons pratiquement tous posé. Ainsi, je me souviens d’avoir assisté, il y a quelques années, à une audience d’un tribunal de la jeunesse qui aurait pu figurer dans ce livre. Comparaissait un jeune délinquant récidiviste. La parole avait été donnée au travailleur social, au procureur, à sa mère, au magistrat. Lui ne l’avait pas prise ou seulement pour balbutier, sans conviction, quelques mots d’approbation, comme dans la chanson de Claude François : « il a dit oui avec la tête, il a dit non avec le cœur ». Le spectateur pas tout à fait neutre que j’étais (j’ai beaucoup participé aux permanences « jeunesse » pendant les premières années de ma vie professionnelle, étant de ceux qui ont mis leur pied dans l’encoignure des portes des juges de la jeunesse, au moment où s’entrouvraient leurs cabinets) ne pouvait qu’être désolé par ce jeu de rôles qui avait tout d’un drôle de jeu. Tout semblait fonctionner mécaniquement, sans le moindre égard pour la finalité sociale de cette audience.

Telle est la démarche qui est à la base de cet ouvrage. Karel Vanhaesebrouck a commencé par arpenter les juridictions correctionnelles du nord du pays. Pas pour y assister à de grands procès médiatisés. Pour y voir la justice quotidienne à l’œuvre : de petits dealers, des étrangers en séjour illégal, des auteurs de petites infractions environnementales, des voleurs vibrants et des braqueurs sous cocaïne, … Il en a tiré un spectacle théâtral : « Tribuna(a)l ». Celui-ci a été représenté à Courtrai et à Bruxelles. Il est visible en ligne : https://vimeo.com/118021854 (si vous avez le mot de passe…).

Cet ouvrage reproduit le texte des saynètes extraites de ses observations.

« Dans ce jeu, il s’agit de s’affronter en vue de convaincre le juge d’une version des faits par rapport à une autre, d’un degré élevé ou faible de responsabilité, de l’opportunité ou non de recourir à une sanction, elle-même sévère ou clémente. Le jeu ne se limite pas à cette confrontation, car au départ de ces prises de paroles contradictoires extrêmement codées, une histoire va progressivement émerger. Celle que l’on attribue à celui qui comparait et qui est mis en cause, mais qui, finalement, n’a pas vraiment été interrogé par rapport à celle-ci. Cette histoire est nécessairement et invariablement une histoire reconstruite pour les besoins d’un argumentaire. S’il est souvent dit que l’on attend des procès qu’il fasse surgir « la vérité », on ne peut que constater que la vérité judiciaire coïncide rarement avec la vérité des justiciables. Sans doute est-ce là l’un des aspects les plus violents du processus de justice ».

Dans cet ouvrage, les textes du spectacle sont commentés par différents grands intervenants : magistrats, avocats, professeurs de droit, de criminologie ou de sociologie. Utile mise en contexte. L’impression qui s’en dégage est d’autant plus terrifiante. Notre justice est-elle d’abord une machine à reproduire les inégalités ? Vieillotte, surannée ? Exsangue, en tout cas.  Justice de classe ? Justice de caste ? A cet égard, les statistiques que communique Mathieu Beys, chargé d’exercices à l’Université libre de Bruxelles, sont vraiment interpellantes. Le laxisme dont les tribunaux font preuve à l’égard des policiers délinquants est, chiffres à l’appui, proprement sidérant (page 205 et 206).

Le mot de la fin revient à Walter Van Steenbrugge.

« Dans tous les cas, la place du juge est cruciale. Tant le juge d’instruction que le juge du fond qui se prononce sur la culpabilité et la peine, ou le juge de l’application des peines, remplissent une fonction aussi importante qu’ingrate. Mais l’obligation de s’en tenir à une législation obsolète, des moyens de fonctionnement trop limités et une absence totale de feedback concernant leur travail (tant dans le sens correctif qu’appréciatif), contribuent à une jurisprudence pleine de contraste.

Tout détenteur de pouvoir qui n’est pas soumis à un contrôle sérieux expose le justiciable à un risque réel d’erreur judiciaire. Ajouter à cela le facteur d’incertitude inhérent au choix d’un avocat et le procès pénal n’est plus, pour le justiciable, très éloigné d’un jeu de hasard ».